Au sein de l’AOP « camembert de Normandie », ils ne sont plus que deux à fabriquer le célèbre fromage à partir de leur propre lait. Reportage dans l’Orne sur les traces d’un savoir-faire menacé par les industriels.
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En quittant la plaine de Caen par le sud, ses champs de betteraves et ses engins de traitements, le bocage normand s’ouvre à l’horizon. Un paysage quadrillé de haies, aussi vallonné que le dos des vaches locales.
Au cœur de l’hiver, elles sont rentrées à l’étable et se nourrissent généralement de maïs fermenté et de tourteau de soja, ce qui altère le goût du camembert. Mais pas à la ferme du Champ Secret, près de Domfront, dans l’Orne, où les ruminantes ne mangent que du foin à cette saison, et de l’herbe des pâturages le reste de l’année.
« On a été, dès 2001, une des premières fermes à supprimer l’ensilage, se félicite Patrick Mercier, seul fabricant de camembert à cumuler les trois étiquettes bio, fermier et AOP. On est même revenu au foin en vrac, pour qu’il ne fermente pas et n’apporte aucune acidité au lait récolté, puis au fromage. »
« Notre lait est une matière vivante bien plus délicate à travailler que le lait pasteurisé des industriels », Nicolas Durand, fabricant de camemberts fermiers AOP.
En 1995, le paysan et son épouse, Francine Mercier, rachètent la ferme où son père s’était lui-même installé en 1955. A l’époque, le couple fait de l’agriculture conventionnelle, comme appris à l’école. Puis vient la crise de la vache folle. « Ça a été un déclic, se souvient-il. Nourrir les gens, ce n’est pas un acte anodin. Cela a été un peu perdu de vue pendant des années. »
La ferme du Champ Secret se tourne progressivement vers le bio. Il faut attendre 2012 pour qu’en sortent les premiers fromages. Aujourd’hui, les Mercier – qui élèvent 90 vaches 100 % normandes sur 120 hectares, pour 700 camemberts par jour – ont concrétisé leur rêve : « On voulait recréer le camembert de notre enfance, celui des années 1950, avant l’arrivée des bâches plastiques, des produits phytosanitaires, des engrais chimiques et de la réfrigération. »
« Notre lait est une matière vivante »
Ne pas réfrigérer le lait de la traite (ni le chauffer au-delà de 40 °C), c’est donner toute leur chance aux micro-organismes des pâturages, transportés par le pis des vaches, de prospérer et d’engendrer une vraie diversité de goût. Et cela, seuls les producteurs fermiers – qui transforment sur place uniquement leur propre lait – en sont capables. Au sein de l’appellation d’origine protégée (AOP) camembert de Normandie (à peine 5 % de la production en France), ils ne sont plus que deux, à côté des marques du groupe Lactalis et autres Gillot, Réaux et Isigny. Autant dire une aiguille dans une botte de foin.
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