Pierre Gagnaire a réinvesti les murs de son ancien restaurant Gaya, rue du Bac à Paris, pour ouvrir cette trattoria inspiré du concept de sa table du même nom à Courchevel. Marco Strullu
Vous êtes cette jeune femme affable qui sourit à l’arrivée des clients. Juchée derrière le comptoir, avec la caisse enregistreuse comme plastron, vous avez pour mission de
les accueillir. Vous prenez les réservations, les pourboires, les complaintes, mais aussi, le plus souvent, les félicitations. Depuis que Piero TT a ouvert à Paris, il ne désemplit pas. Pierre Gagnaire, chef aux étoiles créatives, a réinvesti les murs de son ancien restaurant Gaya, rue du Bac, pour lancer une auberge italienne. Inspiré par le succès du même concept lancé en 2018 aux Airelles, à Courchevel, il récidive à quelques encablures de la Seine, rive gauche. Antipasti, primi, secundi piatti, contorni et tiramisu sont de rigueur. Tout est pensé dans les règles de l’art.
Vous aimez observer ceux qui mangent seuls au bar. Ils sont différents des autres clients. Ils ont souvent les cheveux moins blancs, le parfum moins voluptueux, des bagues plus discrètes aux doigts, et peut-être un portefeuille moins garni. Ils viennent par amour de la bonne chère, et pas pour ce m’as-tu-vu que vous ressentez au contact de certaines tablées (vous ne le montrez pas du tout – vous êtes professionnelle).
Au bar, donc, ce sont souvent des gourmets solitaires. Ils dégustent avec lenteur l’huile d’olive du Lazio, la Carma. Ils y plongent la focaccia, cuite dans les fours du restaurant amiral de Pierre Gagnaire, rue Balzac. Les yeux pleins de questions dans les yeux, ils brisent la pâte croustillante de la carta musica, un pain fin comme du « papier à musique » directement importé de Sardaigne. Ils commandent leur repas avec méticulosité et, parfois, sur les conseils du sommelier, un vin au verre.
Carpaccio de saint-jacques électrisant
L’un des gourmets solitaires a commandé les fritures. Vous adorez le côté sculptural de ce plat. La pâte à beignets délire dans l’assiette, protégeant de sa gangue aléatoire calamars pistes et petites crevettes. Mais, au goût, vous leur préférez de loin les saint-jacques servies en carpaccio avec une semoule de chou romanesco et de navet blanc, une pâte de citron confit et des pointes de crème de rhubarbe, rouge sang. A la vue, c’est électrisant. Dans la bouche, c’est vivifiant. Vous vous en souvenez, puisque vous avez eu la chance de goûter certains plats de la carte. Quant aux ravioles sauge-ricotta-roquette, elles ont l’avantage du réconfort et d’une dénomination facile à retenir.
Semoule de chou romanesco et de navet blanc, pâte de citron confit et pointes de crème de rhubarbe. Marie Aline
Avant de travailler à Piero TT, vous étiez rue Balzac, où l’intitulé des plats était comme un poème à apprendre par cœur à chaque changement de carte. Un sacré contraste avec Piero : vous avez l’impression d’être en vacances. Tout le personnel est italien. Ça roule les « r » et ça vous demande des conseils sur la langue française au moment de récupérer l’addition à la caisse. Il n’était donc pas question de faire des descriptifs de plats à rallonge.
Le veau à la milanaise est un veau à la milanaise : petite escalope dodue, panée, servie avec une moutarde de Crémone (à base de pêches et autres fruits estivaux) et quelques artichauts parfaitement grillés. C’est l’un de vos plats préférés avec la torta capri : une génoise au chocolat (et sans gluten !), légèrement croustillante, posée sur une crème d’amande et accompagnée d’un coulis aux framboises et aux airelles. Un dessert d’une dignité sans égale, vous le voyez dans les yeux de la dame qui s’en délecte en ce moment. Regarder ces clients attablés au bar vous procure toujours la même satisfaction : celle d’avoir dégusté en leur compagnie.
L’adresse : 44, rue du Bac, Paris 7e. Tél. : 01-43-20-00-40. Ouvert du mardi au samedi, de midi à 14 h 30 et de 19 h 30 à 23 heures.
L’addition : autour de 70 €, en se laissant aller.
Délit d’initiés : commandez comme en Italie : antipasti, primi, secundi et dessert. Les plats sont taillés pour que l’on puisse déguster un repas complet.
Les incontournables : les saint-jacques crues, l’huile d’olive, le veau à la milanaise.
Le bémol : difficile d’en trouver un.
La sentence : la finesse de Pierre Gagnaire et de ses équipes donne à la cuisine italienne une légèreté et une intelligence délectables. A quand une pizza signée Piero ?